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Séance 1 - Les 5 modalités d'interaction

Séance 1 : Les 5 modalités d’interaction narrative

Section titled “Séance 1 : Les 5 modalités d’interaction narrative”

Durée : 4h
Format : Discussion collective + exploration guidée
Livrable : Fiche d’analyse de 3 œuvres


À la fin de cette séance, vous saurez :

  • Identifier les 5 modalités fondamentales d’interaction
  • Analyser comment l’interaction sert (ou pas) l’intention narrative
  • Distinguer interaction fonctionnelle et interaction narrative
  • Utiliser la fiche d’analyse pour structurer votre regard critique

Définition à partir de plusieurs sources :

Janet Murray (chercheuse MIT, 1997) identifie 3 propriétés :

  • Immersion : être “dans” l’expérience, pas devant
  • Agentivité : vos actions ont des conséquences visibles
  • Transformation : le récit se reconfigure selon vos choix

Chris Crawford (game designer) la résume ainsi :

“L’interactivité, c’est une conversation. Si vous êtes le seul à parler, ce n’est pas une conversation.”

Chaque action = un verbe : regarder, choisir, explorer, créer, manipuler.

En pratique :
L’interactivité transforme le spectateur en acteur. Vos actions changent l’œuvre. Ce n’est pas un bouton play/pause, c’est votre présence qui devient constitutive de l’expérience.


Exercice éclair : “Racontez votre dernier film en 30 secondes”

Choisir un film que tout le monde connaît (ex: Inception, Interstellar, Pulp Fiction)

Consigne :

  • 3-4 volontaires racontent le film en 30 secondes
  • Observer : est-ce que tout le monde raconte la même histoire ?
  • Chacun retient des détails différents, des émotions différentes

Révélation :
Même dans un film linéaire, chacun construit SA version du récit.

Question de transition :
“Et si le film s’adaptait à ce qui vous intéresse vraiment ? Et si VOUS décidiez quelle scène voir en premier ?”

Variante alternative :
Montrer 2 minutes de Rashomon (Kurosawa) : même événement, 4 versions différentes.
→ “Et si c’était vous qui choisissiez quelle version voir en premier ?”


La narration linéaire impose un parcours unique à tous les spectateurs. Parfois, c’est frustrant.

Exemple 1 : La mort que vous ne pouvez pas empêcher

  • Game of Thrones : Ned Stark meurt épisode 9
  • Vous criez “Non !”, mais l’histoire continue sans vous
  • En interactif : vous pourriez peut-être le sauver (ou échouer, mais au moins vous essayez)

Exemple 2 : Le rythme imposé

  • 2001: A Space Odyssey (Kubrick) : 10 minutes sans dialogue
  • Certains trouvent ça méditatif, d’autres s’ennuient
  • Le rythme est dicté par Kubrick. Vous subissez.
  • En interactif : vous contrôlez le tempo

Exemple 3 : L’exploration interdite

  • Blade Runner 2049 (Villeneuve) : Los Angeles futuriste magnifique
  • Vous ne voyez QUE ce que la caméra montre
  • Frustration : “J’aimerais voir cette rue, cet immeuble…”
  • En interactif : vous pourriez explorer librement

Exemple 4 : Le choix moral impossible

  • No Country for Old Men (Coen Brothers) : fin ouverte
  • Vous ne saurez jamais ce qui arrive à certains personnages
  • En interactif : vous pourriez choisir de suivre un personnage plutôt qu’un autre

Constat :

  • La narration linéaire = UN parcours pour TOUS
  • Le spectateur subit le rythme, le point de vue, les choix
  • L’émotion est dictée, pas vécue

La narration interactive : une constellation de possibilités

Section titled “La narration interactive : une constellation de possibilités”

L’interactivité n’est pas UN médium mais plusieurs territoires créatifs :

Récits à embranchements

  • Bandersnatch (Netflix) : 5h de contenu, vous en voyez 90 min selon vos choix
  • Life is Strange (jeu) : vos décisions changent les relations et la fin
  • 80 Days (Inkle) : adaptation du roman de Jules Verne avec des milliers d’embranchements narratifs
  • The quarry until dawn

Note sur Inkle : Le studio britannique Inkle a créé son propre langage de programmation, Ink, spécialement conçu pour écrire des narrations à embranchements. Ce langage permet aux scénaristes d’écrire des histoires complexes avec des milliers de variations sans se perdre dans le code. Ink est aujourd’hui open-source et utilisé par de nombreux créateurs. C’est un exemple de comment la technique peut s’adapter à la narration, pas l’inverse.


Atelier Ink : Créer votre premier récit interactif (30 min)

Section titled “Atelier Ink : Créer votre premier récit interactif (30 min)”

Format : Exercice pratique collectif

Objectif : Tester l’écriture interactive avec un outil simple (pas de JavaScript, syntaxe proche du scénario)


Démonstration live (5 min)

L’enseignant ouvre Inky et écrit en direct une micro-histoire :

Vous trouvez 10€ par terre.
* Les garder
Vous glissez le billet dans votre poche.
Personne ne vous a vu.
-> END
* Les donner à un SDF
L'homme vous remercie chaleureusement.
-> END
* Les déposer au commissariat
L'agent hausse les épaules.
"On verra si quelqu'un le réclame."
-> END

Montrer comment ça fonctionne :

  • Écrire le texte
  • Tester en direct (panneau de droite)
  • Modifier et re-tester

Message aux étudiants :

“Ink, ce n’est pas du code. C’est écrire un scénario avec des embranchements. Vous allez créer une micro-histoire en 15 minutes.”


Exercice individuel (15 min)

Brief :

  • Créez une micro-histoire interactive
  • 1 situation de départ
  • 3 choix minimum
  • 3 issues différentes
  • Durée de lecture : 30 secondes par branche

Situations proposées :

  • Vous recevez un message d’un numéro inconnu
  • Vous trouvez une clé par terre
  • Vous entendez du bruit dans votre cave
  • Vous ratez votre bus
  • Vous croisez quelqu’un qui pleure dans la rue
  • Votre téléphone sonne, numéro inconnu
  • Vous trouvez un portefeuille dans la rue

Consigne technique :

  • Si Inky n’est pas installé : utilisez un éditeur de texte simple
  • Pas besoin de tester techniquement, l’important est la structure narrative

Présentations croisées (10 min)

Format :

  • Par binômes, échangez vos histoires
  • L’autre lit et “joue” votre histoire
  • Discussion : quels choix il a faits ? Pourquoi ?

Restitution collective (5 min) :

  • 3-4 volontaires présentent leur situation + les 3 issues
  • Classe vote : quelle issue choisir ?
  • Discussion rapide

Questions de débat :

  • Écrire des embranchements change-t-il votre façon de raconter ?
  • Est-ce plus facile ou plus difficile que d’écrire linéairement ?
  • Quels types d’histoires se prêtent bien aux choix ?

Ressource complète :
→ Tutoriel Ink complet (syntaxe, exemples, exercices)

Voir https://www.youtube.com/watch?v=HZft_U4Fc-U pour plus d’informations sur les scénarios à embranchements


Expériences spatiales

  • Journey (jeu) : traversée d’un désert, à votre rythme
  • Installations VR : vous choisissez où regarder

Narrations temporelles

  • Her Story : vidéos dans l’ordre que VOUS décidez
  • The Boat : votre vitesse de scroll = tempo du récit

Créations participatives

  • Patatap : vous créez la musique en tapant
  • Silk : dessin génératif collaboratif

Documentaires interactifs

  • Do Not Track : exploration de la surveillance web
  • Fort McMoney : documentaire-jeu sur l’industrie pétrolière

Observation importante :
Chaque forme pose des questions narratives différentes. Il n’y a pas de “bonne” manière. Tout est à inventer.


Pourquoi c’est une terre d’exploration créative

Section titled “Pourquoi c’est une terre d’exploration créative”

Le web comme médium natif

  • Le cinéma a été inventé pour la projection linéaire
  • Le web a été inventé pour la navigation et l’interaction
  • L’interactivité est dans son ADN, pas une adaptation

Pas de règles établies

  • Hitchcock a inventé le langage du suspense
  • Eisenstein a inventé le montage
  • Vous pouvez inventer les conventions de l’interactivité narrative

Liberté totale

  • Mélanger cinéma + jeu + installation + littérature
  • Créer des expériences impossibles ailleurs
  • L’échec est autorisé : on expérimente, on tâtonne

Hartmut Koenitz (chercheur en narration interactive) :

“L’interactivité narrative n’est pas du cinéma cassé. C’est un médium différent.”


La narration linéaire est morte. Vive la narration linéaire.

Section titled “La narration linéaire est morte. Vive la narration linéaire.”

L’interactivité est désormais mainstream :

  • Netflix : Bandersnatch, You vs. Wild, choix multiples
  • Jeux vidéo : budgets dépassent Hollywood (The Last of Us: 220M$, Red Dead Redemption 2: 540M$)
  • TikTok : algorithme qui crée un récit unique pour chacun
  • Shows TV interactifs : The Voice (vote du public), Eurovision, téléréalité où les spectateurs éliminent les candidats
  • Streaming en direct : Twitch où le chat influence les décisions du streamer, YouTube avec sondages qui changent le cours du live

Paradoxe :
La narration linéaire persiste, mais comme choix esthétique conscient, pas comme norme imposée.

Christopher Nolan choisit la linéarité pour Oppenheimer. C’est une décision créative, pas une obligation technique.

Question d’ouverture pour la discussion :
“Alors pourquoi faire de l’interactif ? Quand l’interaction sert-elle vraiment l’histoire ?”

Discussion :

  • Exemples de “fausse interactivité” (boutons qui ne font rien)
  • Qu’est-ce que le web peut faire que le cinéma ne peut pas ?
  • Le spectateur passif vs le spectateur actif
  • Quand l’interaction devient-elle un gadget ?

Ces 5 modalités viennent de l’observation d’œuvres interactives créées entre 2010 et 2023. Ce n’est pas une théorie académique figée mais un outil d’analyse pratique.

La classification s’inspire des travaux de Janet Murray (Hamlet on the Holodeck, 1997) et Chris Crawford sur l’interaction, mais reste volontairement simple et opérationnelle.

Utilisez-la comme grille de lecture, pas comme dogme. Une œuvre peut mélanger plusieurs modalités. Ce qui compte : identifier comment l’interaction sert (ou dessert) l’intention narrative.


Pour chaque modalité : présentation (10 min) + exploration (8 min)

Principe : Où je porte mon attention influence ce que je vois

Œuvres à tester :

Questions de discussion :

  • Comment votre mouvement de souris a-t-il influencé votre ressenti ?
  • Qu’est-ce qui serait perdu si c’était une vidéo passive ?
  • L’attention comme outil narratif vs décoratif ?

Principe : Mes décisions changent le récit

Œuvres à tester :

  • Papers, Please (démo) - Choix moraux complexes
  • Her Story (trailer + explication) - Recherche comme narration
  • 17776 - Fiction hypertexte, choix de navigation
  • The Evolution of Trust - Théorie des jeux interactive

Questions de discussion :

  • Vos choix avaient-ils du poids émotionnel ?
  • Choix significatifs vs illusion de choix ?
  • Comment construire des embranchements narratifs cohérents ?

Principe : L’espace contient la narration

Œuvres à tester :

  • Ligne de Fuite - Architecture narrative
  • Device 6 (vidéo) - Texte comme carte
  • Window Swap - Exploration de fenêtres du monde
  • Neal.fun/progress - Barre de chargement comme voyage dans le temps

Questions de discussion :

  • L’ordre d’exploration a-t-il changé votre perception ?
  • Géographie narrative vs narration linéaire ?
  • Comment l’espace peut-il raconter une histoire ?

Principe : Ma vitesse influence l’émotion

Œuvres à tester :

  • Typedrummer - Rythme de frappe = musique
  • The Boat - Scroll comme contrôle du tempo
  • Incredibox - Rythme de composition musicale
  • Strobe.cool - Vitesse du curseur = intensité visuelle

Questions de discussion :

  • Comment votre vitesse a-t-elle changé l’expérience ?
  • Rythme imposé vs rythme choisi ?
  • Le scroll comme outil de montage ?

Principe : Ma présence/action modifie l’œuvre

Œuvres à tester :

  • Patatap - Création audiovisuelle
  • The Wilderness Downtown (vidéo) - Personnalisation par données
  • Silk - Dessin génératif collaboratif
  • This Website Will Self Destruct - Messages collectifs qui sauvent le site

Questions de discussion :

  • Vous sentiez-vous créateur ou spectateur ?
  • Participation active vs passive ?
  • Quand la personnalisation devient-elle narrative ?

3. Galerie de favoris + Débat guidé (30 min)

Section titled “3. Galerie de favoris + Débat guidé (30 min)”

À ce stade, vous avez testé ~20 œuvres interactives. Au lieu de discuter de concepts abstraits, on va partir de vos expériences concrètes.


Consigne :
“Sur les œuvres testées aujourd’hui, quelle est votre préférée ?”

Méthode :

  • Chacun note sur un papier/post-it son œuvre favorite
  • Décompte collectif au tableau
  • Identification du Top 3-5

Résultat :
Une liste concrète d’œuvres à discuter ensemble.


Phase 2 : Discussion ancrée sur les œuvres (15 min)

Section titled “Phase 2 : Discussion ancrée sur les œuvres (15 min)”

Pour chaque œuvre du Top 3-5, poser ces questions :

Question 1 : “Qu’est-ce qui vous a marqué ?”

  • Laissez les étudiants parler librement
  • Notez les mots-clés au tableau (surprise, frustration, compréhension, émotion…)
  • Observez les patterns dans les réponses

Question 2 : “Décrivez-la à quelqu’un qui ne l’a jamais vue”

  • Force à verbaliser l’expérience
  • Révèle ce qui est central dans l’œuvre
  • Montre la difficulté de décrire l’interactivité (il faut la vivre)

Question 3 : “Si c’était un film passif, ça changerait quoi ?”

  • Comparaison concrète, pas théorique
  • Basée sur une œuvre précise
  • Révèle ce que l’interaction apporte

Timing : ~3-5 minutes par œuvre (Top 3-5)


Mini-débat :
Prenez 2 œuvres du Top 5 qui utilisent des formes différentes.

Exemple :

  • Do Not Touch (regard) vs Patatap (participation)
  • Her Story (choix) vs Typedrummer (rythme)

Question :
“Laquelle vous fait le plus sentir actif/acteur de l’expérience ?”

Discussion guidée :

  • Pourquoi ?
  • Dans laquelle vous sentez-vous le plus créatif ?
  • Laquelle pourrait fonctionner sans vous ?

Objectif pédagogique :
Introduire subtilement le concept d’agentivité par la comparaison, sans utiliser le terme académique.


Note pour l’enseignant :
Cette discussion part du vécu immédiat des étudiants, pas de concepts théoriques. Vous récupérez leur vocabulaire spontané pour le raffiner progressivement. Les mots “agentivité”, “immersion”, “transformation” viendront plus tard, une fois qu’ils auront le ressenti.


4. Atelier pratique : Première analyse (45 min)

Section titled “4. Atelier pratique : Première analyse (45 min)”

Exercice :
Choisissez UNE œuvre testée aujourd’hui et remplissez une fiche d’analyse complète en direct.

Consignes :

  • Utilisez le template de fiche d’analyse
  • Travail individuel (20 min)
  • Partage en binôme (10 min)
  • Restitution collective (15 min) : 3-4 volontaires présentent leur analyse

Ce que vous devez identifier :

  • Modalité(s) d’interaction utilisée(s)
  • Intention narrative perçue
  • Ce qui fonctionne / ne fonctionne pas
  • Pourquoi

Fiche d’analyse de 3 œuvres (10% de la note finale)

Consignes :

  • Choisissez 3 œuvres du catalogue
  • Les 3 doivent utiliser des modalités différentes
  • Utilisez le template de fiche d’analyse
  • Environ 200-300 mots par œuvre
  • Incluez une capture d’écran ou un sketch pour chaque

Critères d’évaluation :

  • Diversité des œuvres choisies
  • Qualité de l’analyse (pas juste descriptif)
  • Identification correcte des modalités d’interaction
  • Réflexion sur “ce que l’interaction apporte que le cinéma ne peut pas”

Deadline : Avant la séance 2



Ces ressources théoriques approfondissent les concepts vus aujourd’hui. Elles ne sont pas au programme de l’évaluation.